La chaîne des Pyrénées, qui s’étend sur 400 km de long et 100 à 140 km de large, a connu plusieurs événements successifs qui sont à l'origine de la diversité des paysages. Elle est classée dans les chaines jeunes, car la dernière orogénèse qui l’a affectée est relativement récente, contemporaine de l'orogénèse alpine. Mais cette chaîne jeune porte les traces d’orogénèses plus anciennes : comme dans la plupart des chaînes de montagnes en France, l’orogénèse hercynienne (dite également varisque) a joué un rôle important.
Nous commencerons par décrire la structure de la chaîne. Nous en raconterons ensuite l'histoire.
Structure de la chaîne
La chaîne des Pyrénées, allongée d'Est en Ouest, est dissymétrique du nord au sud. Abrupte côté français (30 km de largeur), elle descend plus progressivement côté espagnol (70 km de largeur). A quelques exceptions près, la ligne de crête forme la frontière.
Le versant français est majoritairement formé de roches d'âge paléozoïque (541 à 252 millions d'années - Ma) et mésozoïque (252 à 66 Ma). Voir échelle stratigraphique. Le versant espagnol est majoritairement constitué de roches sédimentaires d'âge cénozoïque (66 à 2 Ma).
La chaîne des Pyrénées est le maillon central d'un ensemble géologique d'environ 1000 km de longueur, appelé "chaîne pyrénéo-provencale" par les géologues, et allant de la chaîne Cantabrique en Espagne à la Provence. Cette chaîne est en partie immergée en mer Méditerranée.
La chaîne pyrénéo-provençale appartient elle-même à la "ceinture alpine", vaste ensemble allant du Maroc aux Iles de la Sonde (Indonésie) en passant par les Alpes et par l'Himalaya, et correspondant à la fermeture de l'océan Téthys, aujourd'hui disparu.
Comme nous le verrons plus bas, les Pyrénées telles que nous les observons aujourd'hui, résultent de plusieurs événements, le dernier en date étant la collision entre deux plaques (voir dérive des continents) : la plaque eurasienne au nord, et la plaque ibérique au sud.
On distingue classiquement cinq zones structurales dans les Pyrénées. Du nord au sud (voir figure plus bas) :
- Le Bassin d'avant-pays d'Aquitaine, qui n'a pour ainsi dire pas subi de déformations.
- La Zone Nord-Pyrénéenne, séparée du Bassin d'Aquitaine par le "Chevauchement Frontal Nord-Pyrénéen" (CNPF), ou "Front Nord Pyrénéen". Elle est majoritairement constituée de terrains d'âge mésozoïque et cénozoïque. Ces terrains ont subi de grandes déformations. Le Chevauchement Frontal Nord-Pyrénéen se présente sous la forme d'une surface redressée ou couchée, les terrains du sud chevauchant les terrains du nord, comme dans le Pech de Bugarach, dans les Pyrénées Orientales.
- La Zone axiale, ou Haute chaîne. On y trouve les principaux sommets pyrénéens. La Zone axiale est séparée de la Zone nord-pyrénéenne par une série de failles parallèles et dont l'ensemble constitue la Faille nord-pyrénéenne (FNP). Cette série de failles délimite généralement des terrains du nord (Zone Nord-Pyrénéenne) chevauchant les terrains du sud (Zone axiale). Les terrains de la Zone axiale sont majoritairement anté-hercyniens à hercyniens, plus rarement post hercyniens (Permo-Trias)
- La Zone sud-pyrénéenne (principalement en Espagne), également nommée Zone sous-pyrénéenne, est décollée de son socle de la zone axiale et chevauche vers le sud les terrains du Bassin de l'Ebre. Ce chevauchement est le "Chevauchement Frontal Sud-Pyrénéen" (CFSP) ou le "Front Sud Pyrénéen". La Zone Sud-Pyrénéenne est constituée de terrains allant du Crétacé Supérieur jusqu'à l'Oligocène. Géologiquement parlant, elle appartient au Bassin Aquitain.
- Le Bassin d'avant-pays de l'Ebre. Ce bassin est constitué de terrains relativement récents (Oligo-Miocène) qui n'ont pratiquement pas été déformés.
A la dissymétrie du relief vient donc s'opposer une relative symétrie de la structure géologique de la chaîne pyrénéenne. Cette symétrie n'est toutefois que relative (voir figure). Elle s'explique, comme nous allons le voir, par l'histoire de la chaîne.
Structure géologique des Pyrénées ; NPZ = Zone Nord-Pyrénéenne ; SPZ = Zone Sud-Pyrénéenne ; NPF = Faille Nord-Pyrénéenne ; (Source :
https://revistes.ub.edu/index.php/GEOACTA/article/view/GeologicaActa2018.16.4.10/28252
Maria Ortuño, Marc Viaplana-Muzas : «Active fault control in the distribution of Elevated Low Relief Topography in the Central-Western Pyrenees»
Geologica Acta, Vol.16, Nº 4, December 2018, 499-518, DOI:10.1344/GeologicaActa2018.16.4.10
Coupe structurale des Pyrénées montrant la collision entre les plaques eurasienne et ibérique (Source : Par Pierraille — Ce fichier est dérivé de : Profile through the Pyrenees ES.svg:Ce fichier est dérivé de : Cirque-de-Barrosa-coupe-Pyrenees.jpg:, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=75231298
Histoire géodynamique des Pyrénées
Les roches antérieures à l’orogénèse hercynienne sont largement représentées dans la Zone axiale et sont absentes dans les autres zones. Ces roches se trouvent dans différentes formations d'origines variées :
Ces terrains anté-hercyniens ont souvent été remodelés par l'orogénèse hercynienne.
En effet, la chaine hercynienne a laissé de nombreuses traces. L’orogénèse hercynienne (de 420 à 300 millions d’années – Ma) a modelé une partie de l’Europe du Sud et du Centre. C’est elle qui a façonné le Massif Central, le Massif Armoricain, les Vosges, les Ardennes, la Cornouaille, le sud de l’Ecosse, et la majeure partie de l’ouest de la Péninsule Ibérique. Les massifs cristallins externes des Alpes sont également hercyniens (voir Les Alpes).
L’orogénèse hercynienne provient du jeu de plaques aujourd’hui difficiles à retrouver car ayant dérivé depuis. Nous en résumons la dynamique ci-dessous.
Au Dévonien (419 – 359 Ma), il existe deux grands continents : la Laurentia et le Gondwana. Ces deux plaques, par leur collision, vont générer la chaîne hercynienne. Cette collision va également rassembler tous les continents du globe en un continent unique, la Pangée, qui se disloquera ensuite.
Les Pyrénées sont situées sur la bordure nord du Gondwana. Vers 420 Ma, la région des Pyrénées est recouverte par une mer chaude. Le Gwondana est alors situé dans l’hémisphère sud. Il se déplace lentement vers le nord et se rapproche de l’équateur. La sédimentation est celle d’une plateforme marine, où l’on trouve par endroit des calcaires récifaux et par endroit des sédiments détritiques apportés par les fleuves du Gwondana. Cette plateforme s’enfonce doucement. Cette phase dure jusque vers 330 Ma.
A la fin du Carbonifère inférieur (330 Ma), l’approfondissement de la plateforme et l’apparition de pentes plus fortes conduisent à une sédimentation de type turbidites. Les turbidites sont formées par la succession de petits éboulements sur des talus sous-marins. On appelle flysch la roche formée par ces turbidites. Ce sont ici les flyschs du Culm. Nous sommes en présence des premiers indices de la collision entre le Gwondana et les avant-postes de la Laurentia. En effet, ces flyschs du Culm, dont l’épaisseur peut atteindre plusieurs centaines de mètres, se déposent dans une zone à forte subsidence où s’accumulent des sédiments détritiques d’une zone orogénique : nous sommes dans l’avant-fosse, c’est-à-dire dans la zone où l’une des plaques s’enfonce avant d’être chevauchée par la seconde plaque.
Ces flyschs peuvent être facilement observés le long de la route entre le Col des Tentes et le Port de Boucharo, à L’Ouest du Cirque de Gavarnie.
La collision hercynienne conduit à un épaississement de la croûte continentale. L’épaississement met les roches dans des conditions de pression et de température qui transforment les roches sédimentaires : c’est le métamorphisme régional (voir Les roches métamorphiques). Apparaissent des marbres, des quartzites, des micaschistes, des gneiss, voire du granite d’anatexie s’il y a fusion. On observe par ailleurs des remontées de magmas en provenance du manteau, c’est-à-dire de couches plus profondes que la croûte continentale. Ces magmas mantelliques ont une composition moins acide que les granites de la croûte continentale. Leur refroidissement donnera des roches grenues plus sombres et plus denses que le granite : préférentiellement des gabbros et des diorites. Voir Les roches magmatiques.
Ces différents plutons, d’origine anatexique ou mantellique, constituent les massifs cristallins qui pointent dans toute la chaîne : Cauterets, Néouvielle, Maladetta, Bassiès, Andorre, Mont-Louis, etc. Ils sont dispersés dans des terrains souvent plus anciens encore, datant du Protéozoïque, Cambrien, Ordovicien, Silurien, Dévoniens, début du Carbonifère.
Nous voici arrivés à la fin du Carbonifère (300 Ma). La chaine hercynienne est maintenant en place. Son érosion, qui a commencé son œuvre destructrice dès les premiers signes orogéniques, se poursuit. La chaine est émergée et les dépôts qui se forment alors sont d’origine fluviatile ou torrentielle, généralement des grès et des conglomérats. Ce sont les formations très épaisses du Permo-Trias que l’on rencontre par exemple dans la Vallée d’Ossau (voir itinéraire Pic d'Ayous) , dans la Vallée d’Aspe, et au Pays Basque (La Rhune). Moins épaisses dans les Pyrénées Centrales, on pourra néanmoins en observer par exemple à Baroude.
C’est aussi à cette époque que la chaîne hercynienne cesse d’être soumise au régime de compression qui régnait pendant la phase de collision. La chaîne connait même une phase d’extension au Permien, comme en témoignent les intrusions de roches volcaniques qui remontent par des fissurent de la croûte continentale. Citons le Pic du Midi d’Ossau et les dykes Est-Ouest visibles notamment dans la Vallée du Cambalès (Granitoïde de Cauterets).
L'orogénèse pyrénéenne proprement dite commence il y a 245 Ma, au Trias. A cette époque, il n'existe sur terre qu'un continent unique, la Pangée, qui commence à se fragmenter. Cette fragmentation conduit à augmenter la surface de la croûte continentale, ce qui fait monter le niveau général de la mer à la surface du globe. La mer s'installe dans la zone des futurs Pyrénées. Les premiers dépôts marins sont datés du Trias moyen (245 Ma). Des dépôts lagunaires de type évaporitique (gypse, sel) se forment par endroit.
Au début du Jurassique (200 Ma), beaucoup plus à l'ouest, l'Océan Atlantique Central commence à s'ouvrir : l'Afrique de l'Ouest, encore solidaire de l'Amérique du Sud, se sépare de l'Amérique du Nord. La mer est toujours présente dans la région des futures Pyrénées, sous forme d'eaux peu profondes. Les dépôts correspondants vont donner des roches carbonatées (calcaires, dolomies, etc).
A la fin du Jurassique Supérieur (Tithonien ; 150 Ma), l'Atlantique Nord commence à s'ouvrir, ce qui engendre une dérive de la plaque ibérique vers l'est. Voir figure. Cette ouverture de l'Atlantique Nord se ressent jusque dans les Alpes. (voir Les Alpes).
La plaque ibérique au Tithonien (Source : Par Various authors, see original links — Cut-outs from various originals:- Cenomanian-Coniacian_European_fossil_deposits.jpg- Alligatorellus-1.jpgand PlosONE Commons 4.0 licensed journal:https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0038900, CC BY 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=82967083
La dérive de la plaque ibérique dure 30 Ma, jusqu'au milieu du Crétacé Inférieur (Aptien).
Pendant cette dérive, les futures Pyrénées constituent une ligne de glissement, sous forme d'un bassin diffus. La croûte terrestre s'y amincit. On observe par endroit la remontée gravitaire et tectonique des évaporites du Trias (gypse et sel). Les dépôts sont essentiellement carbonatés, dont 400 m d'un calcaire récifal connu sous le nom d'Urgonien (âge Barrémien à Aptien, dans sa définition la plus stricte, mais allant jusqu'à l'Albien dans les Pyrénées), également présent dans les Alpes (voir Les Alpes). Les reliefs de l'Urgonien constituent les premiers chainons montagneux visibles depuis la plaine en venant du Nord (par exemple le Soum d'Andore et le Soum de Conques, à l'ouest du Pibest, vers Lourdes). On le trouve également dans les Corbières.
A partir de la fin de l'Aptien (113 Ma), la plaque ibérique, tout en dérivant toujours vers l'est, commence à pivoter sur elle même, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Ce mouvement, qui va durer 10 à 20 millions d'années (jusqu'au Cénomanien, 100 Ma), conduit à l'ouverture du Golfe de Gascogne.
Voir ci-dessous la situation au début du Crétacé Inférieur (Cénomanien).
La plaque ibérique au Cénomanien (Source : Par Zoltan Csiki-Sava, Eric Buffetaut, Attila Ősi, Xabier Pereda-Suberbiola, Stephen L. Brusatte — Cut-outs from various originals File:Cenomanian-Coniacian European fossil deposits.jpgand article in Commons 4.0 licensed journal: Zoltan Csiki-Sava, Eric Buffetaut, Attila Ősi, Xabier Pereda-Suberbiola, Stephen L. Brusatte (2015)"Island life in the Cretaceous - faunal composition, biogeography, evolution, and extinction of land-living vertebrates on the Late Cretaceous European archipelago" Zookeys" 469: 1-161 doi: 10.3897/zookeys.469.8439, CC BY 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=82967082
La croûte continentale, au niveau des futures Pyrénées, poursuit son amincissement. Le bassin de sédimentation devient profond comme en témoignent les turbidites (3 000 m d'épaisseur) qui se déposent à cette époque. L'amincissement de la croûte fait que des fragments de la croûte continentale inférieure, voire du manteau supérieur, arrivent en surface et se mélangent aux sédiments. Des fluides chauds remontent également depuis le manteau supérieur et métamorphisent les roches carbonatées du Jurassique et du Crétacé (génération de marbres).
Le mouvement de rotation de la plaque ibérique s'arrête à la fin du Cénomanien (86 Ma). La dérive vers l'est, en revanche, se poursuit.
La plaque ibérique à la fin du Crétacé Supérieur (Source : Par Zoltan Csiki-Sava, Eric Buffetaut, Attila Ősi, Xabier Pereda-Suberbiola, Stephen L. Brusatte — Zoltan Csiki-Sava, Eric Buffetaut, Attila Ősi, Xabier Pereda-Suberbiola, Stephen L. Brusatte (2015) "Island life in the Cretaceous - faunal composition, biogeography, evolution, and extinction of land-living vertebrates on the Late Cretaceous European archipelago" Zookeys" 469: 1-161 doi: 10.3897/zookeys.469.8439, CC BY 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=37792033
Au Santonien (Crétacé Supérieur, 85 Ma), la dérive de l'Ibérie vers l'est s'arrête. Mais l'ouverture de l'Atlantique Sud, qui a démarré vers 125 Ma, pousse l'Afrique vers le nord. Les premiers effets sur la plaque ibérique se font sentir au Santonien. La plaque ibérique, poussée par l'Afrique, remonte elle aussi vers le nord, et referme progressivement le bassin sédimentaire marin qui sépare la plaque ibérique de la plaque européenne.
La plaque océanique qui borde la nord de la plaque ibérique amorce une subduction sous la plaque européenne.
Les failles, qui avaient joué jusqu'ici en glissement ou en ouverture, rejouent en compression et deviennent des failles inverses. Il en est ainsi de la Faille Nord Pyrénéenne (voir carte plus haut), qui aurait pour origine l'ouverture crustale à l'Aptien, et se verrait ensuite réactivée en chevauchement au Crétacé Supérieur.
Cette tectonique de fermeture et de chevauchements se poursuit à l'Aire Tertiaire (Cénozoïque). Des terres commencent à émerger au nord (région de Pau). L'avant-fosse, ce bassin marin typique des zones de subduction, se déplace vers le sud. L'avant-fosse est déjà au sud de la zone axiale, en Aragon, au début de l'Aire Tertiaire (Paléocène, Eocène, environ 60 à 40 Ma). Dans cette avant-fosse s'accumulent d'abord des sédiments marins profonds, puis des carbonates caractéristiques d'une sédimentation marine moins profonde, de type plateau continental. A cette même époque, la sédimentation est déjà continentale plus à l'est (voir les dépôts de type molasses de l'itinéraire Carcassonne-Escueillens). A l'Oligocène (environ 30 Ma), la sédimentation devient continentale même à l'ouest (dépôts fluviatiles et deltaïques générés par l'érosion des reliefs plus au nord).
Les grands chevauchements se forment pendant cette période Cénozoïque. Il en est ainsi de la nappe de Gavarnie.
La compression s'arrête au début du Miocène (20 Ma). Pour autant, la montée de la chaîne, et notamment de la zone axiale, se poursuit au-delà du Miocène.
Pour aller plus loin
Y. Hervouët, A. Péré, D. Rossier, D. Decobecq, 2016, Hautes-Pyrénées, Guide Géologiques, BRGM éditions
https://www.c-prim.org/documentation/dossiers-thématiques/pourquoi-les-pyrénées-bougent-elles/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Géologie_des_Pyrénées